Day 57
English
During my preparations for the photo in Kreuzberg Pass, I had encountered an extraordinary anti-tank barrier on the Italian-Austrian border near Bolzano. I use the return journey from Kreuzberg Pass to Amsterdam to visit this location and to assess its suitability. The last part of the drive that ends in Resia is beautiful: plateaus surrounded by mountains and filled with lakes that are as smooth as mirrors.
The best moments in this project are invariably the preparations. The lonely walks in nature in search of a suitable location. I find a place to stay for the night and head into the mountains on foot after breakfast the following morning. It is a long walk. From the valley, the path starts to climb almost immediately over a distance of two and a half kilometres. After quite a number of hairpin bends, I reach a plateau. From here onwards it is much easier going and just under another kilometre and a half until the barrier. Austria lies behind it.
The Italians feared an invasion with tanks over this plateau and in 1938 literally drew a line of anti-tank trenches alternating with dragon’s teeth; wooden poles covered with a steel point in a concrete casing. Once again, a surreal sight, as if once upon a time a monster has set its teeth into the landscape and has lost them there. With your back to the east, you have an interesting viewpoint with, on the horizon, the summit of Piz Lad on the border with Switzerland. The route to this spot was much more accessible than that to Opera 10 in the eastern part of the Alpine Wall. The next photo comes here.
I return to Amsterdam to prepare the logistics. Two models are coming from Brussels and one from Paris. I leave a day earlier in order to check the route one more time. On the way to Italy, as the journey progresses through Germany, I can see the temperature falling further and further below freezing point. In the middle of the night, the frost warning light shines brightly on the dashboard. Reports on the radio about people who have frozen to death.
My test-walk is painstaking. It has snowed heavily and each step up the mountain is therefore much heavier going than a few weeks earlier. Somewhat later than anticipated and in spite of the weather conditions, all the models manage to reach the hotel. The following morning, we set off up the mountain after breakfast. Fortunately, my ladder doesn’t need to join us for this photo.
Once we are on top of the plateau, we are quite sweaty and also no longer in the shelter of the mountain. The wind is howling over the plain. Snow is skimming past horizontally. It is about ten degrees below zero. With the memory of the news report about people who have frozen to death still fresh in my mind, I decide to thank the three models for their efforts and call the whole thing off. It is too dangerous to take a photo in these conditions. The models themselves won’t hear of it, however.
Beforehand, we carefully go through who will be where and in what position. We avoid taking steps in the snow. I take up my position behind the camera in order to already frame the shot. Then we count down. As quickly as possible, the models remove their clothes and adopt their poses perfectly. I shoot as quickly as possible. Try one more variation from closer by in landscape format. One of the models indicates that she can’t go on. We end the session and everyone dresses again as quickly as possible, which turns out to be quite a job with frozen fingers. The walk back down again is much more pleasant in the shelter of the slope and the trees.
Upon returning home, I check the recording times of the photos. There are 76 seconds between the first and the last click. The shortest and logistically the most complex shoot I have ever done
French
Lors de mes préparatifs pour la prise de vues au col de Kreuzberg, j’étais tombé sur une spectaculaire barrière anti-char à la frontière italo-autrichienne, près de Bolzano. Je profite de mon voyage de retour à Amsterdam pour visiter cet endroit et évaluer sa photogénie. La dernière partie du trajet qui se termine à Resia est magnifique : des plateaux entourés de montagnes et ponctués de lacs aussi lisses que des miroirs.
Les meilleurs moments de ce projet resteront incontestablement les préparatifs. Je sillonne la campagne en solitaire, à la recherche d’un emplacement adéquat. Je trouve un endroit où passer la nuit et le lendemain matin, après le petit-déjeuner, je pars à pied dans la montagne. C’est une longue marche. Depuis la vallée, le chemin commence à monter presque immédiatement sur une distance de deux kilomètres et demi. Après quelques virages en épingle, je débouche sur un plateau. À partir de là, la progression devient beaucoup plus facile, et il ne me reste plus qu’un kilomètre et demi à parcourir avant d’atteindre la barrière. Derrière, c’est l’Autriche.
Redoutant une invasion de chars sur ce plateau, en 1938, les Italiens y ont littéralement tracé une ligne de tranchées antichars entrecoupées de dents de dragon : des poteaux de bois surmontés d’une pointe d’acier dans une enveloppe de béton. Là encore, on assiste à un spectacle surréaliste, comme si un monstre avait un jour planté ses crocs dans le paysage et les y avait laissés. En tournant le dos à l’est, on a un point de vue intéressant avec, à l’horizon, le sommet du Piz Lad à la frontière avec la Suisse. La route menant à cet endroit s’est avérée beaucoup plus praticable que celle conduisant à Opera 10 dans la partie orientale du mur des Alpes. C’est ici que sera prise ma prochaine photo.
Je retourne à Amsterdam pour organiser la logistique. Un modèle me rejoindra depuis Bruxelles, un autre depuis Paris. Je pars moi-même un jour plus tôt pour vérifier une dernière fois l’itinéraire. Sur la route de l’Italie, à mesure que je traverse l’Allemagne, je vois la température dégringoler bien en dessous de zéro. Au milieu de la nuit, le témoin de gel s’allume sur mon tableau de bord. La radio signale des personnes mortes de froid.
La marche de repérage est laborieuse. Il a beaucoup neigé, ce qui rend chaque pas dans la montagne beaucoup plus pénible que quelques semaines auparavant. Un peu plus tard que prévu, et malgré les conditions météorologiques défavorables, tous les modèles parviennent à rejoindre l’hôtel. Le lendemain matin, après le petit-déjeuner, nous prenons le chemin de la montagne. Fort heureusement, je n’ai pas besoin de mon échelle pour réaliser cette photo.
Une fois parvenus au sommet, nous voilà en sueur et exposés au vent qui hurle au-dessus du plateau. La neige tombe horizontalement. Il fait environ moins dix degrés. Me rappelant encore distinctement le reportage sur les personnes mortes de froid diffusé à la radio, je décide de remercier mes trois modèles pour leurs efforts et d’annuler l’opération. Il serait beaucoup trop dangereux de prendre une photo dans ces conditions. Seulement, mes modèles ne veulent rien savoir.
Nous étudions soigneusement à l’avance qui s’installera où et dans quelle position, en faisant attention à ne pas laisser de traces de pas dans la neige. Je me place derrière l’objectif pour cadrer l’image. Puis nous lançons le compte à rebours. Mes modèles se déshabillent en toute hâte et prennent parfaitement la pose. Je mitraille aussi vite que possible. Nous essayons une variation de plus près, en mode paysage. L’un des mannequins dit qu’elle n’en peut plus. Nous mettons fin à la séance, et tout le monde se rhabille illico, ce qui n’est pas une mince affaire avec les doigts gelés. Notre descente est beaucoup plus agréable, abritée par la pente et les arbres.
En rentrant chez moi, je consulte l’heure de prise des clichés. Soixante-seize secondes séparent la première photo de la dernière. C’est la prise de vues la plus rapide et la plus complexe d’un point de vue logistique que j’aie jamais réalisée.