Day 37

English

For the atmosphere in the images, it is important that there will be snow.  A painful past underscored by relentless cold, with the numb human being as the only element of warmth.  Over the years, from childhood onwards, you get to know the world and its laws.  There were, for example, times that you could rely on it invariably freezing and snowing at the turn of the year.  I held on to it throughout my youth: the regularity and predictability of the seasons.

It used to give me solid ground beneath my feet, knowing that there was something outside of me to sway along with.  But this certainty too has fallen apart.  The very element that still gave me any sense of stability is itself in crisis, and snow and ice in the winter has not been a certainty for some time now.  That makes the logistics around this photo project even more difficult.  Some places are still escaping winters without snow for the time being, such as the higher Alps.

The idea is to visit a number of fortifications in the Vallo Alpino, the Alpine Wall, the Italian counterpart of the Atlantic Wall, Maginot Line and Siegfried Line.  I specially hired a car with winter tyres for this and came up with the optimistic or naïve idea of driving from Amsterdam to the Kreuzberg Pass in one go.  Just when you think it will never end, you reach the foot of the Alps, south of Memmingen and Kempten, near Munich, and you get the deceptive feeling that you are almost there.

Night sets in early at this time of the year.In the dark, blinded by my own headlights that reflect in a whirlwind of snowflakes, I drive on at a reduced speed.I feel safe in my cocoon on four wheels, but the great darkness around me is intimidating.The roads become more graceful because of the numerous bends.As a result, all this beauty seems to be circling around me.The visibility in front of me is limited to a beam of light that illuminates walls of tree trunks in the bends.

Somewhere in the depths of my body I can feel it, the enormous tsunami of panic that is always ready to thunder over me.  A slight tingling like a battery on your tongue, but then in all your limbs at the same time.  Somewhere high in the sky, what look like mountain ridges can be made out due to a slight difference in tint.  I surrender myself to the beauty of nature, rediscover peace in it, collect myself and drive on.

Driving into Italy over the Brenner Pass in the dead of night does feel a bit like floating in space.  My ladder, faithful companion on each journey, lights up now and then.  Hours later than I had intended, I reach the hotel, right on the border between Veneto and South-Tirol.

I have Opera 10 in mind, the bunker hewn into the steep rock face that looks out over the valley.  I set off after breakfast.  It is a one to two hour walk uphill but, before I have left the hotel grounds, I find myself lying face-down on the rock-hard and frozen ground.  It turns out that there is ice here and there under a thin layer of snow.  A photographer who is determined to take a photo is not easily deterred, however.  After a few more perilous slippery falls, I discover that the edges of the verge offer most grip.  The disadvantage is that they bring me uncomfortably close to the edge now and then.  The signposting is not particularly good and in the mountains your sense of direction is really put to the test.

After wandering around a bit, up hill and down dale, and after having tried some side-paths, I reach the entrance of the bunker.  It is as if the wind is being blown over the mountain ridge here.  It is icy and goes right through me.  For the photo I have in mind I would need to descend the slope a bit but, with my recent experiences at the start of the walk, that seems to me to be a step just too far.  Moreover, I can see how I would somehow manage to get myself into a good position, but under no circumstances can I let a nude model go down the slope.  I can already imagine the Hermansian newspaper article.

What I have noticed in the meantime is that the outward appearance of the Italian bunkers is very different from that of the French and German bunkers that I have already photographed.  As if the gracefulness of the Italian language is reflected in the concrete camouflage on the walls.  The entire valley is enclosed by about ten of these fortifications so I decide to explore the hills on the opposite side of the valley in search of an alternative.

The hiking trail on this side is rather more monotonous.  Many pine trees but not many bends and not much of a view.  Here and there, substantial bunkers are hidden between the trees.  They look a bit like the giant turtle Morla in The Neverending Story, as if they have been lying there asleep in the mud for hundreds of years, and grass and earth have grown against them and over them during the centuries.  Even trees have grown on top of them.  When the model steps out of her car the next day, far too late and nota bene wearing sneakers, the decision is quickly taken.  We set off for Morla.  The image of the photo I haven’t taken is still in my head. 

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French

La neige est importante pour l’atmosphère des photos. Un passé douloureux souligné par un froid implacable, avec pour seul élément de chaleur l’engourdissement de l’être humain. Dès l’enfance et au fil du temps, on apprend à connaître le monde et ses lois. Il fut un temps où l’on s’attendait par exemple à ce qu’il neige et qu’il gèle invariablement en fin d’année. La régularité et la prévisibilité des saisons sont des caractéristiques auxquelles je me suis raccroché pendant toute ma jeunesse.

Savoir qu’il y avait quelque chose d’extérieur à moi avec lequel composer me donnait une base solide sur laquelle m’appuyer. Mais cette certitude s’est elle aussi envolée. L’élément même qui me procurait un sentiment de stabilité est en crise, et la neige et le verglas en hiver ne sont plus une constante. Cela rend la logistique de ce projet photo encore plus compliquée. Certains endroits échappent cependant encore aux hivers sans neige, comme les Hautes-Alpes par exemple.

L’idée est de visiter quelques ouvrages du Vallo Alpino, le mur des Alpes, pendant italien du mur de l’Atlantique, de la ligne Maginot et de la ligne Siegfried. J’ai loué pour l’occasion une voiture équipée de pneus hiver et j’ai eu l’idée optimiste – ou naïve – de relier Amsterdam au col de Kreuzberg d’une seule traite. Au moment où l’on se dit que la route ne finira jamais, on arrive au pied des Alpes, au sud de Memmingen et de Kempten, près de Munich, et on a le sentiment trompeur d’être presque arrivé.

La nuit tombe tôt à cette époque de l’année. Dans l’obscurité, aveuglé par mes propres phares devant lesquels tourbillonnent les flocons de neige, je roule à vitesse réduite. Je me sens en sécurité dans mon cocon à quatre roues, mais les vastes ténèbres environnantes m’intimident. Les routes deviennent plus graciles avec leurs nombreux virages. Toute cette beauté semble tournoyer autour de moi. Ma visibilité se limite à un faisceau lumineux qui habille les murs de troncs d’arbres dans les virages.

Quelque part au plus profond de mon être, je le sens, cet énorme raz de marée de panique toujours prêt à déferler sur moi. Un léger picotement, comme une pile au contact de la langue, qui se propage ensuite à tous les membres. En raison d’une légère différence de teinte, on distingue ce qui ressemble à des crêtes de montagnes haut dans le ciel. Je m’abandonne à la beauté de la nature, retrouvant la paix et le calme, je me ressaisis et je poursuis ma route.

Arriver en Italie par le col du Brenner en pleine nuit, c’est un peu comme flotter dans l’espace. Mon échelle, fidèle compagne de tous mes voyages, étincèle de temps à autre. Quelques heures plus tard que prévu, je gagne mon hôtel situé à la frontière entre la Vénétie et le Tyrol du Sud.

J’ai en tête Opera 10, le bunker taillé dans la paroi rocheuse abrupte qui surplombe la vallée. Je me mets en route après le petit-déjeuner. Il faut compter une à deux heures d’ascension, mais à peine ai-je quitté l’hôtel que je me retrouve à plat ventre sur le sol gelé et dur comme de la pierre. Il s’avère que la fine couche de neige dissimule çà et là des plaques de verglas. Mais il en faudrait bien plus pour décourager un photographe décidé à réaliser un cliché. Après quelques périlleuses glissades, je découvre que l’accotement offre une meilleure adhérence. L’inconvénient, c’est qu’il me rapproche parfois dangereusement de l’abîme. Les routes de montagne ne sont pas très bien balisées, et le sens de l’orientation y est mis à rude épreuve.

Après avoir erré un peu au gré des collines et emprunté quelques chemins de traverse, j’arrive enfin à l’entrée du bunker. C’est comme si le vent soufflait sur la crête ici, glacial et perçant. Pour pouvoir prendre la photo que je voulais, il faudrait que je me laisse glisser un peu plus sur la pente, mais mes expériences récentes m’en dissuadent. Je vois aussi comment je pourrais réussir à me positionner correctement, mais en aucun cas comment je pourrais laisser un modèle nu descendre ce talus. J’imagine déjà l’article hermansien [1] auquel un tel épisode donnerait lieu.

J’ai entre-temps remarqué que les bunkers italiens ont un aspect très différent des bunkers français et allemands que j’ai déjà été amené à photographier. C’est comme si la grâce de la langue italienne se retrouvait dans le camouflage bétonné de ces murs. Une dizaine de fortifications de ce type ponctuent la vallée. Je décide donc d’explorer les collines du versant opposé, en quête d’une alternative.

Le sentier de randonnée est un peu plus monotone de ce côté-ci. Des pins en nombre, mais peu de tournants et de points de vue. Ici et là, de grands bunkers dissimulés entre les arbres. Ils ressemblent un peu à la tortue géante Morla dans L’Histoire sans fin, comme s’ils dormaient là, dans la boue, depuis des centaines d’années, progressivement envahis par l’herbe et la terre. Des arbres ont même poussé dessus. Lorsque, le lendemain, mon modèle descend de voiture en retard, et en baskets, la décision est vite prise. Nous partons pour Morla. L’image de la photo avortée me trotte toujours dans la tête

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