Day 474
English
A trench meanders through the Forest of Ailly, like a hundred-year-old scar across the earth. I visit this place on the way back from the photo festival Les Rencontres Photographiques in Arles, in the South of France, where I have just spent a week enjoying the numerous exhibitions, warm weather, Mediterranean food and meetings with many fellow-photographers. It is a warm summer day, but I want to take advantage of the opportunity to already prepare a possible shoot in the winter. The sky is dark blue, thunder is hanging in the air. I am driving in my old car without aircon, with the windows open. Warm air is streaming in. After a long time, I’m back in a good state of flow. I feel fit and energetic. I am optimistic.
Via a small lane, I drive up a hill towards the forest. Saint-Mihiel lies across the meadows on the other side of the valley. I turn onto the car park and pull the key out of the ignition. The engine falls silent and the music stops. The gravel beneath my feet emphasises the silence, cautiously broken by the thunder that is audible in the distance.
During the first months of the First World War, there was heavy fighting here over a line of five trenches. In the fourth trench, a group of soldiers becomes cut off. Without food and water, they continue to offer resistance for three days amidst explosions and dust: the Tranchée de la Soif, the Trench of Thirst. The striking thing about the battlefields is that these are mostly areas that have now completely lost their economic and strategic relevance. People give their lives today for something that will no longer be relevant within a few years or decades.
Months later, it is at last really winter again. Snow is forecast. As soon as a meteorological golden opportunity like this presents itself, I become nervous. It will take days before the photo has been taken. Will the forecasts still change? How much snow will fall? We arrange to meet at a hotel in Verdun and will set off from there for the location the following day.
I am on my way from Amsterdam and experience a déjà-vu moment. The temperatures on the dashboard are plummeting visibly to below zero. The following day, the wind has picked up even more and cuts right through all our clothes. Just as in Italy, I suggest cancelling. The model will not hear of it, however. Fortunately, I have a rental car with winter tyres and heated seats. I park the car as close as possible to the place where we will take the photo.
A casemate that was installed in order to strengthen the forts around Verdun. It is made of cast steel that was placed into a block of reinforced concrete. Below ground, the casemate is connected to Fort Souville. It has two embrasures, of which only one could be used at a time. There was, however, space for a second machine gun. When one was being used, the other one had time to cool down. Even for the present day, more than a hundred years after it was built, it still has futuristic shapes. The photo is taken in one minute and eight seconds. It is even quicker than in Italy.
We continue to the Forest of Ailly. There is no resemblance to the muggy, oppressive summer day of a few months ago but in the shelter of the forest it seems just a little less extreme than on the slope near Verdun. It is about a hundred and fifty metres into the forest from the car park. I grab my equipment and make my way towards the trench.
I need quite a high perspective for the photo. The camera is so high on the tripod that I need a ladder to be able to look through it. I have to walk to and fro a number of times before everything is ready. I set up the camera beforehand, with the exact framing and settings that I want. I show the model what the photo will look like and where she will pose. And then a race against the clock starts once again. I stand on the ladder, ready to press the shutter as quickly as possible.
It takes longer than I had hoped.A few minutes pass by.When it comes down to the details, it is difficult to see through the viewfinder.In this cold, there is no time to zoom in on the screen on the back of the camera. So it is a bit haphazard, and then a matter of hoping that everything will fall into place when I inspect the photos at home.For now, I am just pleased that it’s finished, the model can warm herself up again and we can drive back to the civilised world on pre-heated seats.Following the painstaking session, I am pleasantly surprised by the result when I get home.The details in the leaves, the subtle thin layer of snow between the green, the meandering of the trench and the slender trees in the background.
French
Une tranchée serpente à travers le bois d’Ailly, telle une cicatrice centenaire dans la terre. Je m’arrête ici en rentrant des Rencontres photographiques d’Arles, où je viens de passer une semaine à voir de nombreuses expositions, à savourer le beau temps, à goûter la cuisine méditerranéenne et à échanger avec des collègues photographes. C’est une chaude journée estivale, mais je veux profiter de l’occasion pour préparer une éventuelle séance photo en hiver. Le ciel a viré au bleu sombre, le tonnerre gronde au loin. Je roule dans ma vieille voiture sans climatisation, les fenêtres ouvertes. L’air chaud s’engouffre à l’intérieur. Cela faisait longtemps que je n’avais pas été dans un état d’esprit aussi agréable. Je me sens en forme et débordant d’énergie. Je suis optimiste.
J’emprunte une petite route qui monte dans la colline, en direction du bois. Saint-Mihiel se trouve de l’autre côté de la prairie, sur le vallon opposé. Je tourne dans le parking et retire la clé du contact. Le moteur se tait, la musique s’arrête. Le gravier sous mes pieds souligne le silence, interrompu quelquefois par le grondement sourd de l’orage.
Durant les premiers mois de la Première Guerre mondiale, de violents combats sont livrés sur cette ligne de cinq tranchées. Un groupe de soldats se retrouve pris au piège dans la quatrième. Privés d’eau et de nourriture, ces hommes résistent pendant trois jours entiers au milieu des explosions et de la poussière : c’est l’épopée de la tranchée de la Soif. Ce qui frappe avec les champs de bataille, c’est qu’il s’agit généralement de zones ayant perdu toute dimension économique ou stratégique. Des gens donnent leur vie pour une cause qui n’aura plus aucune importance après quelques années ou décennies.
Quelques mois plus tard, l’hiver est enfin de retour. On annonce de la neige. Ce genre d’aubaine météorologique me rend nerveux. La photo ne sera pas prise avant plusieurs jours. Les prévisions vont-elles changer ? Quelle quantité de neige va tomber ? Nous nous retrouvons dans un hôtel de Verdun et nous rendons sur place le lendemain.
J’arrive d’Amsterdam et j’ai un sentiment de déjà-vu. Le tableau de bord indique une température largement négative. Le lendemain le vent souffle encore plus fort et transperce nos vêtements. Comme en Italie, je suggère que nous laissions tomber. Pour mon modèle, il en est hors de question. Heureusement j’ai loué une voiture équipée de pneus hiver et de sièges chauffants. Je la gare le plus près possible de l’endroit où nous allons prendre la photo.
Une casemate installée pour renforcer la défense des forts autour de Verdun. Sa structure en acier moulé est ancrée dans un bloc de béton armé et reliée au fort de Souville en sous-sol. Elle possède deux embrasures, dont une seule pouvait servir à la fois. Il y avait néanmoins assez de place pour une seconde mitrailleuse. Pendant que l’une était utilisée, l’autre avait le temps de refroidir. Même à l’heure actuelle, plus de cent ans après sa construction, cette casemate présente toujours des formes futuristes. La photo est prise en une minute et huit secondes. Ça va encore plus vite qu’en Italie.
Nous continuons en direction du bois d’Ailly. Rien n’évoque la journée d’été moite et étouffante d’il y a quelques mois, mais à l’abri de la forêt, les conditions semblent un peu moins extrêmes que sur la côte près de Verdun. Il y a environ cent cinquante mètres à parcourir depuis le parking. Je prends mon équipement et me dirige vers la tranchée
Je dois photographier avec une perspective assez haute. Mon appareil est tellement surélevé sur son trépied qu’il me faut une échelle pour pouvoir regarder dans le viseur. Plusieurs allers-retours sont nécessaires avant que tout ne soit enfin prêt. J’installe mon appareil à l’avance, avec le cadrage et les réglages exacts que je veux. Je montre au modèle à quoi devra ressembler la photo et où elle devra se positionner. Puis, c’est à nouveau la course contre la montre. Je me tiens sur mon échelle, prêt à appuyer sur le déclencheur aussi vite que possible.
Cela prend plus de temps que prévu. Plusieurs minutes s’écoulent. Les détails sont difficiles à voir dans le viseur. Avec ce froid, je n’ai pas envie de m’attarder en zoomant sur l’écran au dos de l’appareil. J’y vais donc un peu au petit bonheur la chance, en espérant être satisfait du résultat lors de l’examen des photos. Pour l’instant, je suis juste content que ce soit terminé, que mon modèle puisse se réchauffer et que nous puissions retourner à la civilisation sur des sièges chauffants. Après cette séance difficile, je suis agréablement surpris des images que je découvre en rentrant chez moi. Les détails des feuilles, la fine couche de neige recouvrant subtilement la verdure, les méandres de la tranchée et les arbres élancés en arrière-plan.